Ces poèmes figurent en
partie dans
le recueil
Rien ne vaut le présent
(2025) éditions Maïa.

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Présent
Rien ne vaut le présent,
L'indiscutable temps d’un chien qui s'agite,
Vous regarde, guettant
Ou d’une mouette rieuse s’esclaffant au lointain.
Au diable les réflexions et circonvolutions !
Elles s'annihilent entre elles et se montrent
toxiques,
Ne savent rien du temps : l'imparable présent,
Qu'il faut vivre, épouser, éprouver sans rien dire,
bénéficiant de ses confortables envolées.
Pourquoi le commenter ? Chercher à l’acquérir ?
Le présent s'est déjà détaché, attiré par une autre
entité : le passé.
Rien ne vaut le présent,
Savoir y parvenir…
(in Désordres,
Rien ne vaut le présent)
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Les nuages ne cesseront
jamais leurs formes inventives.
Effilés, mordorés, ces continents s'allongent
Et se rétractent durant les soirs d'été,
Nous surprennent encore après des décennies,
Passées des ères humaines, et encore d'avant...
Malgré un réchauffement qui
les fragilise
Ils persistent et subjuguent les humains durant les
crépuscules.
Mais déjà, le tableau a
changé.
Après quelques secondes, deux-trois mots de papier,
La photo est passée.
Les nuages jouent avec le
feu.
Ils s'allument et s'éteignent, s'affadissent et
renaissent
Hors de nos envies,
Pour leur seule allégresse.
(in Désordres,
Rien ne vaut le présent)
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Avenue
C'était le temps où je t'envoyais des messages,
Celui où tu me répondais.
Je retrouvai çà et là de belles formules éparses
Par nous deux échangées.
Comme elles me semblaient vaines !
Aujourd'hui en allées...
Et pourtant je souhaitais
Ardemment les préserver.
Cette abondance de e, de é
Aurait déplu à Georges Perec
Et à sa propension certaine
Aux jeux et défis langagiers,
Tout autant qu'elle m'évoque
Deux années-blocs révolues.
Une complicité épique
Qui me donne envie de t'écrire,
De reconstruire un mouvement,
Une forme ancienne,
Un terme échu ;
Tout autant qu'elle se moque
De cette une fois de plus pensée,
De cette replongée chronique
Dans nos marottes — si cher vécu !...
Est-ce une idée ?
L'approuveras-tu ?
Y renoncerai-je avant l'été ?
Traverserai-je l’avenue ?
(in Mets du jour,
Rien ne vaut le présent) |
Amants
Attablé au café des Lilas
Je pense à toi.
Après la nage, les livres, je bois
Une blanche bière.
S'étire le jour, traversé l'éther
Je voudrais tant
Que les couleurs, les fleurs, les chimères
Bruissent en dedans.
Qu'il s'éternise
Cet inhabituel soleil d'été !
Que les forces d'avril
Jusqu'à la fin des temps
S'éternisent pour tous, pour toi,
Pour les amants.
(in Paùl Jack,
Rien ne vaut le présent)
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Élan
Laper la paix.
S'abreuver de sérénité
Semer l'option d'optimisme.
Tourner vers le couchant
Un regard tournesol.
Ancrer la joie dans un arbre
Une faille, un ruisseau.
Déceler dans tes yeux une primaire beauté
Héler les apocryphes conceptions
De fin du monde
Remettre le manteau
Et retrousser ses manches
Aimanté par l'envie de semblables désirs, non péchés
capitaux,
mais
capiteux parfums maintenant le plaisir.
Dire tout haut l'implacable réalité d'un allant qui
sonde l'au-delà
Et nous tient aux aguets
Pour profiter du monde
Et de ses habitants, occupants occupés aux terriens
étés dont on souhaite qu'ils perdurent.
Endurer les tempêtes
Avant que de filer
Près des cyprès célestes.
Engendrer douceur, calme et présence.
Une synchronicité bénéficiant d'autrui.
S'en nourrir toute une vie.
Et reparaître vierge au lendemain
Qui relance une impartialité.
(in Rien ne vaut
le présent)
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Parfois
Parfois, elle s'approche à grands pas.
Elle te ravit tes proches.
Elle te cerne,
Te guette
Pour voir jusqu'où tu vas tenir.
Heureux
Je voudrais tant que tu sois heureux.
Tu seras heureux, d’accord ?
Pour me faire plaisir.
(in Mets du jour,
Rien ne vaut le présent)
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Orques
Les orques se révoltent dans le détroit de
Gibraltar.
Trop de passage, trop de bruit.
Elles attaquent les bateaux,
Coups de bec contre les coques.
Certaines croquent les gouvernails,
D’autres les piquent et s'en moquent.
Est-ce Gibraltar qui les excite
Ou l'ocre parfum de Tanger ?
Les orques se sentent à l'étroit,
Et ne savent comment le crier.
Elles manifestent à leur manière
Comme les humains vocifèrent.
Daims
Les animaux, si touchants, se réapproprient
l'espace.
Des daims déambulent dans les rues d'une banlieue
parisienne.
Fascinante majesté qui nous laisse interdits.
(in Mets du jour,
Rien ne vaut le présent)
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Alsace
Des masses rondes et blanches
Posées sur les sommets convexes,
Un tremblement bienvenu,
Des bourdonnements en concurrence
Qui s'approchent et se rétractent,
Stationnent le long des corps alanguis profitant des
brises ténues,
Semblant
leur murmurer que ce silence n'en est pas un.
Épais mais traversé de multitudes,
D'une profusion de destins,
Le calme des sommets alsaciens
N'engendre ni la solitude
Ni la mélancolie.
On se sait entouré des siens,
Accompagné des animaux
Du plus bruyant au plus serein.
Quand surgissent deux promeneurs et leur chien,
Éclaireur avisé profitant de chaque heure,
Souriant, essoufflé,
Séparant le silence en deux moitiés égales...
Puis chacun reprend ses droits
Son travail, ses pensées
Et l'Alsace se livre à nouveau, sans fard, durant
l'été.
(in Désordres,
Rien ne vaut le présent)
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Nous verrons
Nous verrons le ciel,
Ciel je t'ai manqué.
Nous verrons le ciel,
Comme tu m'as manqué.
Les eaux fortes éclairent
Toutes mes journées,
Les sonnets du ciel.
J'ai failli te dire
Sonnent les plaisirs.
J'ai failli te dire
Quitte tes chagrins
Verrons-nous demain ?
Tu chantes à découvert
Tous les sonnets d’hier.
Oh la traque animale
Qui fond sur le métal !
Mes plus beaux atours
Les ai recensés
Sonnent les beaux jours
Les forêts d’été,
Sonnent les beaux jours.
Sous le vent j’ai tracé
- qui planent en mon jardin -
Incendies déployés,
Pierres à portée de main
Et je les ai remodelés
A tous mes souvenirs.
Quand dix jours ont passé
Où sont mes souvenirs ?
« Sois sage, ô ma Douleur,
Et tiens-toi plus tranquille »
Dans les eaux fortes de ton cœur,
Ai-je rêvé le fil
De cette force qui me ceint
Et
qui délie mes pleurs ?
Les traces et les espoirs
Que je n’aurais éteints...
Nous verrons demain.
Sonnent les beaux jours
Oh le miel d’hiver !
Sonnent les beaux jours,
Les forêts d’été.
Chante à découvert,
Comme tu m’as manqué.
Les sonnets d’hier
Effeuillent mes déserts.
(in Frondes étourdies)
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Chat-nuit
Sous la lune, je suis plein d'allant alors qu'on le
sait, je ne suis pas du matin.
Que de bonheurs vécus la nuit ! Lorsque tout semble
possible, lorsqu'on vaque, disponible, protégé par
cette toile d'un bleu profond ornée d'un visage
blanc et rond qui m'a toujours fasciné.
Je me suis vu tenter des bonds noctambules d'une
audace folle, j'ai entamé une conversation inopinée
avec une chouette, réveillé un Labrador assoupi pour
simple bavardage, croisé un Lévrier fringuant, revu
une chatte asiatique, ancienne de mes connaissances
— et tout mon passé défilait, des amours que je
tairai ici car les grandes douleurs sont muettes.
Et les innombrables collègues, les traînards que
l'on repère, ceux du dernier mia précédant
l'avant-dernier, les compères des folles soirées,
des chevauchées interminables où l’on se construit
des souvenirs, la puissance de l'amitié, sa force et
son indestructibilité nous étreignant soudain, comme
ça, par-dessus un toit.
(in L'Être que je suis,
Rien ne vaut le présent)
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Souvenir
Saoul, venir.
Venir te voir.
Sans auto,
Sans autorisation.
Nommer autonomie
Cet affront.
À vélo débarquer,
Te découvrir sonné
Devant tant d'imprévu.
Envisager tes yeux
Tant que tu dévisages
Les cieux, ne sachant
À quel saint te vouer.
Je ne te vouvoie pas
Mais j'abandonne le tu,
Préférant le prénom
Prononcé, difficile,
Par une élocution
Emplie de verres éthyles.
Tenter de t'embrasser
Et te revoir surpris.
Je n'aurai jamais su
S'il m'eût fallu poursuivre.
Saoul, venu
Sans autorisation
Et, de suite, reparti
Sans paroles, sans raison.
(in Paùl Jack,
Rien ne vaut le présent)
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